Nous étions plus de 60 membres de notre association pour écouter la conférence d’Agnès Fayet  le 3 février dernier.

Trois thèmes principaux ont été abordés : les néonicotinoïdes, les OGM et les nano particules.
 
Les néonicotinoïdes sont des molécules agissant sur le cerveau des insectes. Elles sont moins effectives chez les mammifères. Ces produits sont systémiques : ils sont actifs dans l'ensemble de la plante, dont les fleurs, ce qui engendre des problèmes pour les abeilles.  
On recense 7 insecticides sur le marché, commercialisés par différentes firmes, dont 3 qui nous concernent plus particulièrement. De nombreuses plantes sont concernées.
Ces molécules ont été remises en question en 2012 : dans des analyses effectuées en Angleterre sur des colonies de bourdons et en France, l’étude de l'INRA d'Avignon. Cette dernière étude a fait beaucoup parler d’elle et a eu beaucoup d'impact. La Commission européenne, a décidé de remettre en question les procédures d'évaluation des risques.

Actuellement: seuls les risques aigus et uniques (exposition a un seul produit) sont pris en compte.
La Coordination apicole européenne (Coeur) se bat pour l’instauration d’une nouvelle méthode d’évaluation des risques. Elle demande d'ajouter l’exposition à long terme, à faible dose et les effets sur la colonie dans son ensemble (et non plus sur les abeilles isolées). La Commission a demandé à l'EFSA d'ouvrir un dossier et d’analyser les effets des néonicotinoïdes sur la santé des abeilles. L’EFSA a rendu un avis d’opinion scientifique. Ce dossier contient  plusieurs alertes : l’une concerne la toxicité chronique des produits, l’autre la toxicité sur le couvain, une autre encore les effets sublétaux (les problèmes d'orientation et les problèmes sur la santé de l'abeille). En conclusion le rapport préconise de revoir totalement l'évaluation des risques liés à l’utilisation de ces molécules.
Il convient de différencier les effets d’un insecticide pulvérisé et d’un insecticide d'enrobage.
Le 16 janvier dernier, 3 molécules ont été jugées officiellement dangereuses par l’EFSA. Elles induisent des risques sévères en particulier lorsqu'elles sont utilisées sur le maïs, le colza, le tournesol et le coton. Des lacunes ont été mises à jour au niveau de l'évaluation des risques. Il est important de parler des poussières de semis, de la consommation de nectar et de pollen contaminés, et du problème de la guttation (« transpiration » de la plante). La Commission européenne a demandé aux producteurs de répondre à ces questions. Le Forum Humboldt (un bureau d’étude appartenant aux lobbys des producteurs de pesticides) a remis une étude publique qui insiste sur l'importance économique et environnementale de ces produits et des pertes d'emplois induites par une éventuelle interdiction. Cette étude ne comptabilise pas les services de pollinisation, ni les coûts des effets systémiques. On peut parler d’une guerre des chiffres.
Le 28 janvier dernier, le conseil de l’Europe a été saisi à la demande de Mme Dijksma, ministre Néerlandaise.
Le 31 janvier, la DG Sanco s’est prononcée sur les points suivants, dont certains sont une avancée véritable, d’autres sources d’une certaine déception pour les défenseurs des abeilles.
L'utilisation des néonicotinoïdes est limitée à des cultures non attrayantes pour les abeilles (céréales, couvertures de sols hivernales  – que les abeilles sont parfois amenées à visiter)
L’exposition aux poussières durant l'automne n’est pas prise en compte.
La suspension de la vente de semences traitées (sauf pour les cultures non attractives pour les abeilles)
Mise en œuvre au plus tard le 1er juillet, soit après les semis de 2013.
Réévaluation après 2 ans pour prendre en compte les améliorations scientifiques et techniques.
La suite:
Le 7 février: réunion du groupe consultatif de la chaine alimentaire (COPA COGECA, COEUR,..)
Le 25 février : vote du comité permanent de la chaine alimentaire et santé animale.
En mai 2013 : publication de la ligne directrice de l’EFSA vers la CE.
Les OGM
Le dossier juridique des pollens OGM est très complexe.
La question au centre de la bataille juridique est la suivante: le pollen est-il un ingrédient ou un constituant du miel?

Un apiculteur allemand, Karl Heinz Bablock, producteur de pollen dans une région où est cultivé du maïs Monsanto 810, a fait analyser son pollen et des traces d’OGM y ont été décelées. Il a ensuite déposé une plainte contre le land de Bavière, propriétaire des terres louées à Monsanto .
Le jugement rendu par la cour européenne de justice est le suivant : la présence de 0.9% de pollen OGM dans le miel implique l'obligation de l'étiqueter comme miel OGM. Si on suit cette logique, le pollen est un ingrédient du miel, et l'apiculteur un producteur secondaire.
Certains apiculteurs sont d'accord, ils veulent informer le consommateur. Ce sont les partisans d’une voie radicale selon laquelle il n’y a pas d'apiculture possible dans un environnement OGM.
Dans cette optique, l'apiculture est une arme anti OGM, avec l'appui de plusieurs fédérations apicoles, dont l'UNAF.

Pour d'autres apiculteurs, le pollen est un constituant du miel, et le problème des OGM ne doit pas trouver sa solution dans le monde apicole. Dans le même ordre d’idée, la Commission Européenne veut modifier la directive miel, et casser la décision de la cour de justice. Ils considèrent le pollen comme un constituant du miel. Le secteur apicole, bon nombre de syndicats apicoles européens considèrent également que le problème des OGM est un problème général et pas un problème apicole.

Les parlementaires Ecolo et PS ont demandé une étude d'impact, mais il n’y a pas d'accord général.
L’enjeu économique est important. Le Monsanto810 sera probablement agréé en février 2013. Il y a déjà 36 OGM autorisés dans l'alimentation en Europe (soit 95% des OGM autorisés).

Un monde hybride
Selon l’expert en géopolitique Parag Khanna, les crises que traverse notre civilisation (crise systémique doublée d’une crise alimentaire) nous obligent à rentrer dans l'âge hybride.
Nous vivons une ère de rupture, où la force des armes est remplacée par le pouvoir de l’innovation et où la technologie devient une mesure de puissance. Dans ce monde hybride, une nouvelle palette de technologies apparait, appelée  NBIC (pour nano, bio, info, cogno).
- les nanotechnologies s’intéressent à  l'infiniment petit
- la biotechnologie se charge de la fabrication du vivant
- l’intelligence artificielle nous offre des machines pensantes
- et la cognition nous entraine vers les neurosciences

L’âge hybride et l’agriculture :
Ces NBIC convergent bien souvent, notamment en recherche agronomique.
Dans un tel monde agricole, les notions d’environnement, de santé et d’éthique ne sont pas prises en compte, pas plus que la place de l’abeille.
Un point important de la réflexion concerne les polluants émergeants. Ce sont les polluants qui existent mais dont on ne se préoccupe pas encore, tels les hormones, phtalates, retardateurs de flammes, additifs et adjuvants industriels, nano particules ou les  nouveaux pesticides.
Les impacts de ces produits ne sont pas encore identifiés, mais on peut soupçonner leur accumulation dans la chaine alimentaire, dans les sols, dans l'eau, …
Les débats actuels sur les OGM et les graines enrobées mettent en avant ces dangers et suspicions.
Dans leurs communications, les producteurs et les laboratoires mettent l’accent sur le mode opératoire des produits qu’ils défendent plutôt que sur la molécule elle-même.
Parmi les nouveaux produits, on peut citer les engrais à libération retardée, les biocapteurs, les produits chimiques bioactifs ou la libération contrôlée d’agents biologiques ou chimiques.

Les nanotechnologies apportent des solutions technologiques pour atteindre ces objectifs. Pour rappel : un nanomètre (nm) est un milliardième de mètre, et les nanotechnologies sont les techniques de conception et de fabrication d’objets de taille inférieure à quelques centaines de nm.
Les nanomatériaux ont été définis par la Commission Européenne comme des matériaux qui ont souvent des propriétés spécifiques dues à la très petite taille de leurs particules.
Nous vivons entourés de nombreuses applications de ces techniques, dont certaines sont très utiles, mais que penser des nano-pesticides, déjà baptisés nanocides ?

Aux USA : un pesticide mis sur le marché contient un matériau nanométrique. Dans l’état actuel des méthodes de contrôle, il n’est pas possible de déceler la présence de produits nano dans les substances analysées.
Aucune véritable évaluation des risques n’a été faite sur ces produits, dont la grande durabilité et la haute résistance sont connues.
Les nanoproduits sont présents (sans étiquetage) dans notre vie quotidienne : dans les produits cosmétiques, les produits d’entretien, les vêtements, les compléments alimentaires, les peintures et enduits, dans les panneaux solaires et les filtres UV.

Si on écoute le discours des producteurs, leur utilisation dans l’agriculture permettrait un meilleur ciblage des ravageurs et un meilleur contrôle de la libération des produits,  et donc la réduction des coûts (économiques et écologiques) de la lutte anti parasitaire.
Plusieurs brevets sont déjà déposés. Ils utilisent les techniques de nanoencapsulation des produits chimiques (les molécules sont capturées, encapsulées, dans une matrice), ou les microbilles. Des nanocapteurs sont dispersés dans les champs pour la détection des conditions environnementales et la libération des produits de traitement. Les  producteurs parlent même de « pesticides verts ». Peu d'informations sont cependant publiées sur ces produits, qui ne font actuellement  l’objet d’aucun encadrement politique, juridique ni sanitaire.

Il existe des nano vêtements, des nano aliments traités avec des nanocides, et des nano emballages.
Une peinture nano pour ruches est disponible sur le marché : Nansulate ©.
Il y a déjà 106 nano aliments commercialisés, 2000 particules manufacturées (selon une étude de l’afsset)
600 produits de consommation font appel aux nanotechnologies.
On estime qu’en 2015, 40% des aliments industriels seront concernés.
Il s’agit donc d’un problème global, mais qui ne bénéficie pas d’une vision globale.
Il y a des rapports (en France notamment) concernant les impacts. Mais les  moyens techniques d'analyser les effets sur les consommateurs n’existent pas. Deux études concluent sur des possibles modifications de l’ADN.
Les autorisations de mise sur le marché reposent sur la composition chimique des produits. Un élément non toxique peut le devenir à l’échelle nanométrique. En Europe, le règlement REACH ne concerne que les substances chimiques classiques, produites à plus d’une tonne par an. Les nano produits ne font donc pas (pas encore) l’objet d’une surveillance spécifique. Un REACH nano se constitue.

A la fin de sa conférence, Agnès a été rejointe par Noa Delso, de la Coordination apicole européenne (et membre de la SRABE), qui nous a éclairé plus avant sur la question des OGM et des débats européens.

Merci à Agnès pour cette conférence très intéressante sur des points de notre actualité, et de notre futur.

Anne Van Eeckhout

Lien vers la présentation :
http://issuu.com/fayetag/docs/af-abeille-avenir