Cet article rédigé par Agnès Fayet est paru dans la revue « Abeilles et Cie » en mai dernier. Nous remercions le Cari de nous autoriser à le reproduire

C’est en 1993, à l’âge de 12 ans, que Xavier Rennotte devient apiculteur. Il élève ses abeilles à Bruxelles et en Wallonie. Il gère Nectar&Co, une coopérative familiale créée en 2009. L’entreprise travaille avec tout un réseau d’apiculteurs européens et conditionne avec le savoir faire wallon des miels de cru qui sont diffusés sur le marché belge. Nectar&Co est également associé à la production d’hydromel de haute qualité.

Travailler le miel après la récolte
Le travail principal est fait par les abeilles. Les qualités d’un bon apiculteur se mesurent au travail du miel après la récolte. Un apiculteur a le devoir moral de continuer l’excellent travail fait par les abeilles. Il suffit d’un peu de connaissance, d’un peu de savoir faire, pour pérenniser les qualités du produit en dehors de la ruche. Toute l’activité de Nectar&Co est fondée sur ce principe : fournir aux consommateurs un produit le plus frais et le plus tracé possible.

Chez Nectar&Co, nous utilisons des techniques parmi les moins dénaturantes possibles pour le miel. Le meilleur miel est le miel qui sort de la ruche en rayon. L’ensemencement, la refonte sont des travaux qui ont un impact sur le miel. Il est nécessaire de choisir des méthodes et des outils qui réduisent au maximum l’impact sur le produit.

Peu d’apiculteurs ayant plus de 15 ruches sont capables de faire dans la foulée l’extraction, le travail du miel et la mise en pots. Ce serait l’idéal en terme de qualité. Aujourd’hui, quand un apiculteur fait 350 kilos de miel de printemps avec ses 15 ruches, il n’a pas le temps de réaliser le conditionnement en pots dans la foulée, sauf s’il est très bien équipé. Le miel est donc conservé dans des futs au frais et refondu au moment où l’apiculteur a le temps de commencer le travail du miel. Il y a des techniques de refonte (1) qui existent et la moins dommageable c’est l’utilisation du Mélitherm. Un petit Mélitherm est compatible avec un filtre conique et ne nécessite pas un gros investissement.

"Le travail du miel c'est la base"

La qualité, un atout commercial
Le petit apiculteur du coin n’est pas toujours, hélas, associé à l’image de la qualité du produit. Certains achètent du miel chez un gros négociant ou un producteur pour le revendre à leur compte. D’autres ne sont pas soucieux d’offrir à leurs clients un miel travaillé, tartinable, de bonne tenue. Certains se fichent pas mal de vérifier le taux d'HMF ou l’humidité du produit. Le label Perle du Terroir auquel je me suis associé garantit la traçabilité et la qualité du miel. C’est un atout pour commercialiser un bon produit. L’hérésie des apiculteurs qui mettent du miel en pot sans se poser de question, c’est qu’ils laissent la structure du miel, un produit physiquement et chimiquement instable, se cristalliser anarchiquement. Il suffit pourtant de tourner le miel à froid pour contrarier la cristallisation grossière. C’est un peu comme faire une crème glacée. Si on laisse la préparation au congélateur sans rien faire, on a un bloc. Si on tourne toutes les heures, on a une glace avec de gros grains. Si on tourne tout le temps, on obtient une crème glacée. Les gens aiment la crème glacée. Ils aiment le miel crémeux. C’est un peu de travail mais cela en vaut la peine. Ce n’est pas une modification du produit, c’est une sublimation. C’est un véritable travail de valorisation du miel auprès des consommateurs. Evidemment, certaines personnes adorent le miel croquant mais la majorité des consommateurs aime le miel liquide. Ils sont dans ce sens très satisfaits par les miels industriels. Beaucoup d’autres aiment le miel tartinable, en particulier les enfants. C’est agréable à utiliser et à consommer.

Maîtriser la cristallisation
Le premier paramètre important est le taux de glucose et de fructose contenu dans le miel. L’analyse nous l’indique. Plus il a de fructose, plus il est liquide. En Belgique, au printemps, nos miels ont tendance à avoir beaucoup de glucose et donc ils cristallisent très rapidement au point d’avoir tendance à devenir durs. On doit travailler pour obtenir un miel mou, tartinable.

Le deuxième paramètre à prendre en compte est la température. A température ambiante, le miel entame un processus naturel de vieillissement. Le miel, ce n’est pas comme le vin. Il ne se bonifie pas en vieillissant. Il faut le conserver à une température de 10 à 20°et le consommer de préférence dans les deux ans. Les vieux apiculteurs mettaient leur miel à murir dans la cave, comme on pourrait laisser affiner du fromage. Un conditionneur de miel travaille un peu comme un fromager. Il affine la cristallisation du miel comme un fromager va affiner un fromage. Il travaille son produit, en maîtrise l’évolution, la stabilité, la consistance. C’est l’œil et le goût qui déterminent la conduite de ce processus d’affinage. Cela s’acquiert avec l’expérience.

On dit qu’il faut 30 à 40% de miel cristallisé au total avant de mettre en pot. Comment le savoir ? Quand le miel commence à faire un léger voile, un nuage, quand il révèle sa texture, c’est le signal ! Les réseaux cristallins sont en train de se former. Si on laisse le miel à 10° jusqu’au lendemain, il devient aussi dur que du béton. Il faut le mettre à 26° le soir et prévoir la mise en pot dès le lendemain matin.

Procédé mis en œuvre
Le miel est déposé en chambre chaude à 35° pendant 2 jours. Il s’agit d’obtenir un miel amolli. La décristallisation se fait directement dans les cuves. Il n’y a pas de modifications du HMF avec cette technique. Avec le miel, le problème n’est pas le chauffage mais le refroidissement. Les gros volumes de miel refroidissent très lentement. La chaleur est conservée longtemps à l’intérieur du volume de matière. Chez Nectar&Co, nous passons de 40° à 20° en 6 heures. Les gros conditionneurs peuvent refroidir le miel en quelques minutes. Il est défigé puis refroidi tout de suite après grâce à des pompes péristaltiques qui exercent une très haute pression. Le miel est chauffé entre de petits filtres et refroidi tout de suite après. Avec une telle technique industrielle, il n’y a presque pas de dégradation.
 
Les apiculteurs qui ne travaillent pas leur miel n’en connaissent pas les bénéfices ou ne savent pas comment le travailler. Ils ne l’ont pas forcément appris. On peut obtenir un miel crémeux et tartinable sans disposer de beaucoup de matériel. Le plus difficile c’est le volume de miel à travailler. Il est plus difficile de travailler 200 kilos de miel qu’un petit seau de 50 litres. C’est là qu’intervient la valeur d’un conditionneur de miel. Il a l’expertise et le matériel pour travailler dans les meilleures conditions de gros volumes de miel. Notre mélangeur a été conçu sur mesure pour répondre à nos besoins. La cuve est dotée d’une vis sans fin, plus efficace que les pales. L’appareil est associé à une pompe à bière qui permet une circulation de l’eau froide dans la double paroi de la cuve. L’eau passe dans un circuit fermé. Le mélangeur est également muni d’un thermostat pour gérer la température idéale pendant la phase de défigeage du miel. Un programmeur permet de gérer les phases de rotation de la vis ainsi que sa vitesse. Pour obtenir un bon miel crémeux, il faut bien mélanger le miel matin et soir pendant 5 jours. Pendant les 3 premiers jours, il est nécessaire de mélanger 5 minutes toutes les heures. La machine permet de mélanger le miel à la carte, en fonction du type de miel à travailler c’est-à-dire en fonction de son taux de glucose/fructose.

L’apiculture c’est facile, jusqu’au moment où on retire le miel de la ruche.


Bonnes conditions de conservation et date limite de consommation
Les conditions de stockage du miel sont déterminantes. Il faut à tout prix éviter les chocs thermiques, placer les futs de miel dans un endroit sec, à l'abri de la lumière, à une température correcte (entre 10° et 20°). Il est nécessaire de mettre une date limite de consommation sur l’étiquette. Mettre une date limite de consommation sur un pot de miel ça a un sens. C’est le sens du produit vivant. On ne met pas une date limite de consommation pour le plaisir, arbitrairement. On la met sur un miel analysé, qui n’a pas été chauffé. Une date de péremption a un sens pour un miel qui a été bien stocké, bien travaillé, conservé à bonne température. La grande industrie joue sur la règle mondiale qui stipule que la date limite de consommation  est fixée légalement à partir de la date de mise en pot. Dans ce contexte, le consommateur ne peut pas se fier à cette date pour connaître la date de récolte. En Belgique, les petits producteurs mettent toujours l’année de récolte. L’apiculture belge est une apiculture familiale, de bonne qualité en général. Elle s’est fixée des règles dès le départ. Le consommateur est attentif à ça. Nectar&Co met sur le marché des miels de producteurs, en provenance d’un terroir. Ce sont des miels de cru, pas forcément des miels locaux mais ils sont travaillés avec le savoir faire belge.


Produire de l’hydromel de qualité
Nectar&Co a été créé pour produire de l’hydromel.  C’est l’objectif principal de l’entreprise. Mais il faut au minimum un an avant de sortir une cuvée. Selon le Frère Adam, il faut même 7 ans ! La question a été simple dès le départ : pourquoi ne pas associer à cet objectif de produire de l’hydromel le travail de conditionnement du miel ? C’est très logique puisqu’il faut bien connaître le miel pour fabriquer de l’hydromel de qualité. Nectar&Co est né comme ça.
Le travail du miel, c’est la base. Il faut analyser la matière première, la comprendre. Ensuite, on peut décliner le produit sous toutes ses formes.

L’hydromel, c’est le miel qui redevient du nectar. Pour faire un hydromel de qualité, j’ai voulu limiter le plus possible les intrants . Les recettes de départ, au paléolithique, c’est du miel et de l’eau. Après Pasteur, c’est devenu du miel, de l’eau, des levures, des sels nutritifs, des acidifiants, des correcteurs, etc. La finalité, c’est la rentabilité économique, c’est l’argent. Plus on ajoute des produits, plus on accélère le processus, plus on gagne de l’argent. Il faut s’arrêter et réfléchir au bon sens des actes que l’on pose. On travaille avec des animaux merveilleux qui nous offrent des produits superbes et on ne respecterait pas cela ? On dénaturerait alors notre vocation. L’hydromel est la boisson alcoolisée la plus noble. C’est la moins polluante et la plus locale si le miel est produit localement. Dans cet optique, nous proposons depuis 2015 de l’hydromel belge à partir d’un miel de forêt, d’un miel de campagne et d’un miel de ville (Bruxelles).

Dans l’hydromel, le goût du miel va naturellement influencer le goût de l’hydromel. D’où la nécessité de choisir, de goûter le miel qui va servir à la production de la cuvée. L’hydromel aura aussi une couleur différente en fonction du miel choisi. On pourrait prévoir des cuvées « à façon » pour les groupements d’apiculteurs belges. Si 10 apiculteurs apportent 35 kilos chacun, on pourrait produire une cuvée personnalisée. Ce serait une façon de valoriser les produits locaux, d’obtenir un produit personnalisé, des hydromels régionaux.

La rencontre entre la technologie brassicole et vinicole
Faire de l’hydromel, c’est marier la technologie brassicole et vinicole. Le vin et la bière possèdent tous les deux des technologies intéressantes pour la production d’hydromel. Au départ, on s’inspire du brassage, puis la phase de fermentation rappelle le travail du vin : gestion de la température et de la pression, cuve hermétique aux contaminants, échappée du gaz comme dans une cuve de vin. Et on charge la cuve en CO2 pour éviter les contaminations, comme dans le système brassicole. Il a fallu 5 ans pour arriver à la production du prototype de la machine et pour obtenir la technologie utilisée. Cela peut encore être amélioré et c’est mon objectif.
Pour produire 1000 litres d’hydromel, il faut 350 kilos de miel. Nous cherchons à produire un hydromel de qualité, millésimé en fonction de la provenance du miel. Nous travaillons avec des miels de cru, monofloraux. Nous fabriquons des hydromels riches en tanins, hauts en sucre, avec un taux d’alcool de 12,5°. Aujourd’hui, nous ajoutons 10 grammes de sulfites sans aucun autre additif. Il n’y a rien que du miel, de l’eau et de la levure. Il n’y a pas de sels nutritifs, pas d’acidifiants comme on peut le trouver dans le monde de la bière ou du vin.

Hydromel bio ?
A l’origine, nous produisions de l’hydromel bio, pas pour sacrifier à l’effet de mode mais parce que le cahier des charges limite très fortement les intrants chimiques. Il ne l’est plus pour l’instant car la législation sur les sulfites n’est pas cohérente. Elle va changer avec la révision du cahier des charges du bio prévue pour fin 2016. A la demande des hydromelliers, les textes vont doubler le taux de sulfites dans l’hydromel (de 5 gr à 10 gr par hectolitres) pour être au même taux que le cidre et le poiré. En comparaison avec le vin bio, c'est malgré tout 4 fois moins ! L'utilisation des sulfites, même en bio, s'explique par le fait que plus un produit est riche en sucre résiduel, plus il y a un risque de refermentation. C'est vrai en dessous de 15° d'alcool. Au-dessus de 15°, c'est plus rare.

Agnès Fayet et  Xavier Rennotte


(1) Etienne Bruneau, « La Refonte du miel », Abeilles&Cie n°143, avril 2011. http://www.cari.be/medias/abcie_articles/143_fiche1.pdf