Comment les évaluer?
Compte-rendu de la conférence donnée par Janine Kievits le 22 février 2011


Dimanche 22 février  dernier, Janine Kievits (Cari asbl, Inter-Environnement Wallonie asbl) est venue  à la demande de la SRABE exposer les dernières connaissances en date sur les effets subléthaux des pesticides sur les abeilles. Son exposé des plus intéressants est une clef d'entrée pour mieux comprendre les interactions complexes entre les abeilles et de leur environnement et du délicat équilibre qu'il nous faut à tout prix préserver. Dans ce qui suit, je vais essayer de retracer au mieux les grandes lignes de ce qui a été dit ce jour-là.

Tour d'abord de l'émerveillement …
Les abeilles sont tout simplement incroyables (ça vous en êtes déjà tous persuadés). Vivant en colonie tel un super-organisme, elles sont capables de s'organiser et d'accomplir toute une série de tâches complexes sans réelle coordination centralisée. En effet, la reine a beau être un élément indispensable de la ruche, son nom hiérarchique ne la rend pas pour autant seul maître à bord. La cohérence de ce petit monde réside plutôt dans les comportements individuels de chaque abeille déclenchés par différents stimuli dans son environnement à l'intérieur et à l'extérieur de la ruche. Ce mode de fonctionnement apparemment aléatoire permet pourtant la réalisation d'un grand nombre de tâches corrélées entre elles et régulées.     roi

Parmi ces tâches, citons de manière non-exhaustive la récolte et gestion de ressources, le maintien des conditions de température, d'aération  et d'humidité dans la ruche (homéostasie), l'organisation du nid, les soins apportés à la reine et au couvain. Lors de l'essaimage, les abeilles sont aussi capables d'évaluer la qualité des nouveaux emplacements potentiels et de faire un choix concerté.

Pour venir à bout de ces tâches complexes, les abeilles sont dotées d'un mini-cerveau d'un peu moins d'un million de neurones (contre 100 milliard chez l'homme). Cet organe a beau être miniaturisé, il n'en reste pas moins très performant. Grâce à lui, les abeilles mémorisent des odeurs, des couleurs, des trajectoires. Elles sont capables de traduire les informations sous forme de danse. Elles  évaluent le taux de dioxyde de carbone et d'humidité dans la ruche. Elles comparent les informations mémorisées aux informations perçues et en déduisent les actions à prendre. Ainsi, certaines abeilles sont plus vite sensibles au manque d'air dans la ruche et se mettront à ventiler plus vite, d'autres ont une capacité d'olfaction supérieure et  nettoieront  plus rapidement les zones de couvain malade. Chacun de ces comportements individuels est essentiel pour la survie de la colonie.

Un délicat équilibre …
Or certaines maladies et substances chimiques tels les pesticides (en particulier les pesticides systémiques neurotoxiques) ont un impact sur le comportement des abeilles et sur leur niveau de fertilité. Les abeilles contaminées n'en mourront pas nécessairement mais l'équilibre général de la colonie en sera perturbé. C’est ce qu’on appelle les effets subléthaux. Ceci peut mener à un fort affaiblissement de la colonie et même à sa mort.
Par exemple, une colonie dont les abeilles perdent la capacité de s’orienter et de retourner à la ruche va se dépeupler rapidement. Celle dont les abeilles perdent leur capacité d’olfaction se fera vite envahir par toutes sortes de maladies car les abeilles sont incapables de faire la différence entre le couvain sain et le couvain malade. Une colonie où la température n’est plus régulée correctement va voir son couvain se développer à des températures inférieures à 36°C. Des études ont montré que les abeilles issues d’un couvain qui s’est développé à 32°C dansent moins bien  et sont moins performantes dans le recrutement d’autres abeilles pour le butinage. Elles ont également une capacité d’apprentissage et une durée de vie réduite (Wilson-Rich 2009).
Pour la survie de la ruche, il ne suffit pas d’avoir des abeilles vivantes, il faut encore qu’elles soient en pleine possession de leurs facultés de perception, de mémoire, d’apprentissage, etc.

Quelles évaluations pour étudier les effets subléthaux….
Dans les laboratoires de recherche, un grand nombre de tests existent pour cerner les effets des pesticides sur les comportements des abeilles et leur physiologie. Cela va des tests pour mesurer le réflexe d’extension du proboscis essentiel pour le butinage, au test de labyrinthe pour analyser la faculté d’orientation et de mémoire. D’autres tests analysent la fertilité de la reine et de mâles, la performance de danse ou encore la capacité de retour à la ruche. Et il en existe bien d’autres encore.
Malheureusement, au niveau des procédures officielles d’homologation des pesticides, la plupart de ces tests ne sont pas utilisés et les effets subléthaux ne sont pas suffisamment pris en compte.
Au niveau de l’Union européenne les pesticides sont régulés par la Directive EC 91/414 et le risque que représente ces molécules pour les abeilles est évalué selon les lignes-guides n°170 de l’Organisation Européenne et Méditerranéenne pour la Protection des Plantes (OEPP). L’approche comprend un schéma d’évaluation à trois niveaux : des études préliminaires de toxicité aigue en mettant les abeilles en contact direct avec la substance en laboratoire, suivi si nécessaire par des études en tunnel et complété par des études en champs. L’on passe du premier niveau au second niveau si le coefficient de risque (HQ) est supérieur à 50. (HQ = dose d’application/ DL50, où DL50 est la dose au contact de laquelle 50% des abeilles meurent). Or, ce coefficient de risque est valable uniquement pour une application directe du pesticide sur l’abeille et non pas pour une exposition répétée à de plus faibles concentrations. Et pourtant, c’est cette deuxième situation que les abeilles rencontrent avec la nouvelle génération de pesticides dits systémiques. Ceux-ci persistent longtemps dans l’environnement et sont présents en plus faibles concentrations dans tous les tissues de la plante traitée, y compris le pollen et le nectar. Les abeilles ne meurent pas sur le coup. Elles continuent à transporter cette nourriture contaminée dans la ruche perturbant ainsi petit à petit l’ensemble de la colonie. Evaluer le risque uniquement sur base d’une exposition aigue par contact au niveau des butineuses n’a plus de sens. Le schéma d’évaluation actuel doit être modifié de manière urgente.

Revoir l’évaluation, où en est-on ?  …
La Commission européenne a confirmé son intention de faire particulièrement attention à ce que les protocoles d’études développés reflètent de manière adéquate l’exposition effective de l’abeille, et ce en particulier via  le pollen et le nectar. En 2008, la décision a été prise de revoir les lignes-guides de l’OEPP. Ce travail a été confié à la Commission Internationale des relations plante-abeille (ICPBR). Les résultats sont malheureusement loin d’être satisfaisants. L’indépendance de la Commission laisse à désirer. Face à ce constat, les apiculteurs ont mis sur pied la  Coordination Apicole Européenne regroupant les unions apicoles pour coordonner les forces vives. L’objectif est de développer une meilleure expertise européenne sur le sujet et de rédiger des documents techniques de qualité. C’est un véritable parcours du combattant pour faire entendre la voix de la raison auprès des organes d’expertise et de décision. Le chemin est donc encore bien long avant d’avoir un nouveau schéma d’évaluation tenant compte de toutes les voies d’exposition (poussières, eau, sécrétions extra-florales), de la mortalité chroniques, des effets différés, des effets subléthaux. Evaluer les effets subléthaux nécessite en effet  la modélisation complète du comportement de l’abeille.
union     

En guise de conclusion  …

La situation n’est donc pas rose mais l’espoir subsiste. L'abeille est la sentinelle de l’environnement. En tant que sentinelle de l’abeille, les apiculteurs ne peuvent baisser les bras. Chacun en fonction de ses compétences peut agir et faire évoluer la situation dans la bonne direction. L’union fait la force. Merci Janine pour votre énergie et engagement au quotidien. Tenez-nous informés.

Sources et contacts mentionnés par Janine Kievits
« L’étonnante abeille » par Jürgen Tautz
« Bee » par Rose-Lynn Fisher
« Le peuple des abeilles » par Eric Tourneret

Compte-rendu par Elisabeth, apicultrice en devenir ;o)