D’où m’est venue cette idée de conduire les ruches au fond de mon jardin en unités comprenant un corps Dadant 10 cadres + une hausse Dadant 10 cadres ?
Cela m’est venu petit-à-petit.

Je lisais les livres des anciens. J’entendais parler les anciens de diverses expériences.
Durant ma formation en apiculture les conférenciers apicoles attiraient notre attention sur des thèmes qu’ils présentaient comme autant de garants de bonne conduite des colonies d’abeilles sous notre responsabilité.

1. L’apiculteur débutant est invité à garder en vue divers thèmes garants de bonne conduite de son rucher.
Le volume d’une ruche traditionnelle. Selon les auteurs, ce volume oscille entre 20 et 40 litres…

L’espace utile pour la ponte de la reine. L’espace de ponte de la reine qui lorsqu’il vient à manquer provoque des essaimages, voire bien plus grave, empêche la reine de pondre vu que toutes les alvéoles sont remplies de sirop pour l’hiver.

Occuper les ouvrières. Bien souvent entendu. Si elles n’ont pas de tâches les ouvrières « s’embêtent » et encombrent le volume de la ruche.

La mobilité horizontale des abeilles en hiver. Par temps très froid en hiver des colonies pourraient mourir car les réserves de miel d’un côté de la ruche sont épuisées et que le froid empêche les ouvrières de se déplacer jusqu’à l’autre côté où il y avait encore des réserves alimentaires.

La mobilité verticale de la grappe d’abeilles. Les abeilles se déplacent verticalement dans les ruches. La grappe d’abeille, de forme plus ou moins étirée, se positionne selon les saisons et selon son bon vouloir entre le corps et la hausse. Les réserves de miel en haut, suivies du pollen, suivi du couvain… selon l’importance de ces réserves de miel, avant l’hiver, la grappe descend plus ou moins vers le bas… à la reprise printanière cette grappe, selon l’épuisement des réserves en haut, elle remontera pour préparer la ponte de la reine.

Le volume utile d’une colonie d’abeilles. Certains conseillent d’hiverner sur un corps Dadant 10 cadres, réduit à 8 cadres par des partitions, et en gardant une hausse 9 cadres.
Le calendrier floral et les activités au rucher. Depuis quelques années, les floraisons montrent une précocité manifeste. De certainement 2 à 3 semaines.

La récolte du miel. Combien de miel récolter ? Théoriquement l’on ne touche pas au miel dans les corps. Cependant, vu la précocité des floraisons et vu le réchauffement climatique en cours, l’on peut se demander si avec le miel dans un corps les colonies ont suffisamment de réserves pour l’hiver. Il semblerait que des ouvrières consomment plus de calories par temps doux en hiver que par temps froid.

Le nourrissement. La technique de nourrissement pourrait avoir une incidence sur la place disponible pour la ponte de la reine. Très importante en prévision des abeilles d’hiver.

L’essaimage. Est-il grave ? Peut-être dans les zones où cela pourrait provoquer des conflits de voisinage. Ne dramatisons pas. Dans nos régions, le taux d'essaimage naturel varie bon an mal an de 30 à 50%. Concrètement, cela signifie que, sans intervention de l'apiculteur, dans un rucher de 10 ruches, 4 essaimeront en moyenne.
http://st-ambroise.be/Consultation/essaim.pdf

2. Ces thèmes m’ont inspiré une expérience. Pourquoi ne pas conduire les colonies d’abeilles du fond de mon jardin en unités de ruches comprenant un corps + une hausse Dadant 10 cadres.
Cela donne de bons résultats pour l’apiculteur de loisir, jeune septuagénaire, à mobilité réduite, que je suis.

En garantissant aux colonies un volume suffisant dans lequel elles peuvent aménager leur espace comme bon leur semble je n’observe aucune mortalité hivernale depuis quelques années déjà.

Est-ce que la gestion par les abeilles du volume mis à leur disposition aurait un impact sur les différents thèmes énumérés plus haut ?

Les premières années, j’ai maintenu une hausse 9 cadres sur chaque corps 10 cadres, mais en ne plaçant pas de partitions. Pas de problème. Pas de mortalité hivernale.

A la reprise printanière, j’ai maintenu ce montage, un corps 10 cadres + une hausse 9 cadres, j’ai placé une grille à reine sur cette hausse 9 cadres et ensuite une deuxième hausse 9 cadres. Cette deuxième hausse est la seule dont j’extraie du miel. Tout le reste est domaine des abeilles.

Depuis deux ans, j’utilise des hausses 10 cadres comme compléments des corps 10 cadres. Cela a comme avantage que les cadres du corps se prolongent par les cadres des hausses.
Pour le reste, même exercice, à la relance au printemps, je place une grille à reine sur cette hausse 10 cadres et sur la grille à reine, une hausse 9 cadres.

3. Vu la précocité du calendrier floral, vu le réchauffement climatique en cours et vu le fait que les ouvrières d’hiver restent “actives” plus longtemps, les réserves de miel du seul corps suffisent-elles ?

Je ne récolte que le miel de la ou des hausses 9 cadres qui se trouvent au-dessus de la grille à reine placée sur la hausse 10 cadres. Vu la localisation de mon jardin en zone de grandes surfaces agricoles une hausse 9 cadres par miellée suffit en général.
Comme apiculteur contemplatif cela me convient fort bien. Les abeilles semblent apprécier donc moi aussi.

Intéressant le constat qu’en hiver seuls les 8 cadres centraux sont occupés par les abeilles, tant les cadres en rive du corps 10 cadres que ceux de la hausse 10 cadres, totalement vides, semblent utilisés comme partitions.

4. Conduite en Dadant 10 cadres divisibles, le volume utile d’une ruche en hiver se limite à 3 hausses 10 cadres.
Intéressant dans cet essai Dadant 10 cadres conduit en divisible est le constat qu’en hiver, la colonie n’occupe nullement la hausse 10 cadres tout en dessous. Les cadres y sont bien bâtis, très propres, entretenus, mais ne contiennent rien, même pas des traces de nourriture.
En hiver également, les abeilles n’occupent que les 8 cadres centraux, les cadres en rive semblant utilisés comme partitions.

Ce constat souligne également quel pourrait être le volume utile du gîte d’une colonie d’abeille entre ses besoins d’espace durant les miellées et durant l’hiver. La possibilité offerte aux abeilles de gérer elles-mêmes le diamètre ainsi que la hauteur de l’espace qu’elles occupent semble leur convenir.



5. En conclusion. Offrez aux abeilles un volume / un espace où, selon les saisons, elles pourront horizontalement et verticalement aménager leur nid selon leurs besoins et règles propres.
En hiver, en conduite non divisible, elles n’utilisent que le volume de 8 cadres. Un corps 8 cadres et une hausse 8 cadres, cela équivaut à une Dadant 12 cadres. Mais à la différence d’un corps Dadant 12 cadres, que ce volume est étiré verticalement et resserré horizontalement ce qui semble convenir aux abeilles en hiver.
En hiver, en conduite divisible, les colonies semblent se suffire de trois hausses 10 cadres dont elles n’occupent que les 8 cadres centraux. Ce qui équivaut au volume d’un corps Dadant 12 cadres. A la différence de ce dernier, ici ce sont les abeilles qui “décident” comment valoriser cet espace en hauteur et en largeur.

Le mot du jour.
Cet extrait de Cavanna s’applique fort bien aux avettes, ces petites femmes qui nous émerveillent : « ... Moi qui avait vu “avant”, moi seul “savais”, moi seul pouvait mesurer cette rage d’avoir une maison à soi... de l’avoir par sa sueur, par ses reins moulus, par ses mains arrachées... Seules les femmes savent posséder un espace... Donner leur un espace clos, elles s’y vouent corps et âmes. Tigresses en leurs tanières...” Cavanna, « Bête et méchant » p. 42.

Seules les abeilles savent posséder un espace.

Pierrot Vincke du Rucher contemplatif