HONEYBEE-BASHING

Depuis quelques années, les abeilles mellifères glissent insidieusement du statut de «sentinelles de l’environnement» à celui de responsables du déclin des abeilles sauvages. Notre abeille à miel, Apis mellifera - espèce indigène en notre région - est parfois dépeinte comme une dangereuse espèce exotique invasive, introduite et responsable du déclin des abeilles sauvages. Or, c’est une déformation erronée et dommageable qui pourrait masquer les véritables raisons du déclin des abeilles qui ne fait que suivre la dramatique disparition généralisée de tous les insectes.
Les raisons de ce déclin massif sont connues et documentées : l’urbanisation et la minéralisation des sols qui entraînent une raréfaction des zones de nidification et des ressources alimentaires, le contact avec les produits phytosanitaires et autres polluants, le changement climatique qui accélère l’effondrement de certaines espèces ou provoque leur déplacement, la mondialisation avec son cortège d’espèces invasives…

Récemment, la réponse parlementaire du ministre bruxellois de l'environnement et plusieurs articles parus dans les médias annonçaient la fin des activités apicoles dans les zones Natura 2000 à Bruxelles. Nous regrettons de ne pas avoir été consultés sur ce sujet qui nous concerne en premier lieu. Des chiffres alarmistes sont également publiés sur le nombre croissant de ruches dans notre capitale et qui ne correspondent pas du tout à la situation réelle. Une récente étude française a erronément compté le nombre de ruches dans la Région de Bruxelles-Capitale sur la superficie de… Bruxelles-Ville ! Tout cela participe à la désinformation que nous observons autour de l'apiculture et de l'abeille mellifère.

Nous tenons aussi à rappeler que Natura 2000 n'est pas un système de réserves naturelles strictes dont toutes les activités humaines seraient exclues. La conservation y est gérée de manière durable, à la fois écologiquement et économiquement. Nous ne nions pas que le nombre de ruches dans les zones Natura 2000 doit être évalué et éventuellement réglementé davantage, mais l'apiculture éducative et sociale à petite échelle que notre association défend y a certainement sa place.
Notre association et nos activités sont compromises par des mesures excessives, sans que nous ayons été consultés et sans qu'il y ait de preuve scientifique basée sur notre contexte urbain bruxellois. Plusieurs ruchers de nos membres ainsi que notre Rucher École (Woluwe-Saint-Pierre) et le Jardin d’Abeilles (Jette) sont situés en zone Natura 2000. La suppression de ces ruchers aurait de lourdes conséquences sur l’activité de notre association vieille de 127 ans.

Bien que nous ne contestions pas le besoin d'évaluer et d'éventuellement réguler davantage le nombre de ruches en Zone Natura 2000, nous contestons fermement l’interdiction d'y pratiquer l'apiculture. Les mesures d'interdiction annoncées pourraient, en outre, constituer un dangereux précédent et avoir un impact énorme sur l'apiculture nationale et européenne. De nombreux apiculteurs s'en inquiètent. L'abeille mellifère ne serait-elle tolérée que dans des zones agricoles, là où justement les conditions sont les moins favorables à sa bonne santé ?

Nous ne comprenons pas pourquoi les défenseurs des abeilles sauvages et les apiculteurs sont de plus en plus souvent mis dos à dos. À l'entame de notre formation en apiculture de deux ans, nous interrogeons toujours nos élèves sur leurs motivations. Il en ressort que leur première motivation est l'intérêt pour l'environnement. Nous pensons que les apiculteurs et les défenseurs des abeilles sauvages devraient unir leurs forces pour mener à bien le combat pour la préservation de toutes les abeilles. Sur le terrain, les apiculteurs s'avèrent être les meilleurs ambassadeurs des abeilles sauvages. Les abeilles mellifères bénéficient de la sympathie du grand public et c'est grâce à l'engagement des apiculteurs que de nombreux Bruxellois sont informés de l'existence et de l'importance des abeilles sauvages.




BRUXELLES M’ABEILLES

La Société Royale d’Apiculture de Bruxelles et ses Environs (SRABE asbl) existe depuis 1893 et est la principale association apicole de Bruxelles. Lors de son 125e anniversaire elle s’est dotée d’un nouveau nom plus évocateur : Bruxelles m’abeilles. Elle compte aujourd’hui 423 membres dont les ruches sont  réparties pour 1/3 à Bruxelles, 1/3 en Wallonie et 1/3 en Flandre.

Bruxelles m'abeilles sensibilise les Bruxellois à l'apiculture, à l'importance de tous les pollinisateurs et à la préservation de l'environnement. Chaque année, nos membres organisent de nombreuses animations dans des ruchers, des écoles, des événements dédiés à la nature en ville, etc… Notre association organise également des conférences, des promenades botaniques et des distributions de graines mellifères indigènes. Nous avons développé des outils pédagogiques pour nos apiculteurs et le grand public. Par exemple, la brochure “Bestioles! Qui est qui?", éditée depuis 2012, connaît toujours un grand succès. Depuis sa création en 2008 en lisière du Parc Roi Baudouin (Natura 2000), les portes ouvertes du Jardin d’abeilles ont accueilli près de 5000 visiteurs qui y ont été émerveillés par les abeilles mellifères et sauvages. Fidèle à nos valeurs, notre association a également participé à des manifestations en faveur du climat ou contre l'utilisation du glyphosate et des néonicotinoïdes.

Avec le soutien de la Cocof, l’association organise une formation à l’apiculture en deux ans. Les cours abordent de nombreux thèmes qui concernent non seulement l'apiculture en général, ou l’apiculture plus spécifique en situation urbaine (gestion de l’essaimage, mesures de sécurité), mais aussi les autres pollinisateurs et les abeilles sauvages, la législation, les règles de l’AFSCA, … Une formation continue est organisée au travers des conférences thématiques autour des abeilles mellifères, des abeilles sauvages, des plantes, … Plusieurs études concernant la qualité des produits de la ruche en ville ont été réalisées (ULB 2003-2005) ou sont en cours (Labiris 2018-…). À plusieurs reprises nos miels ont été médaillés au Concours miel organisé par le CARI (Centre apicole de recherche et d'information) témoignant des qualités gustatives des miels bruxellois.

Nous sommes également au service de la population pour la récolte d'essaims d'abeilles. Pendant la saison de l'essaimage, nous recevons de nombreux appels à la fois des pompiers de Bruxelles et des citoyens inquiets. Les essaims sont récoltés bénévolement et redistribués parmi nos apiculteurs débutants. Dans la plupart des cas, les insectes «gênants» ne sont pas des abeilles, mais des abeilles sauvages ou des guêpes. Nous ne répondons jamais favorablement à la question de la destruction des nids, mais essayons au contraire de sensibiliser les personnes concernées à l'importance de ces insectes et à la nécessité de les protéger.

BRUXELLES, OÙ LES ABEILLES MELLIFÈRES ET LES APICULTEURS SONT CHEZ EUX !

De longue date, Bruxelles a toujours été un épicentre de l'activité apicole, en témoigne une inscription comptable datant de 1783! Mais la façon dont nous pratiquons l'apiculture évolue constamment. Des documents historiques montrent qu'il y avait auparavant de très grands ruchers à Bruxelles. Aujourd'hui, cependant, nous préférons l'apiculture à petite échelle. En juin 2013 déjà, nous avions proposé à la ministre Huytebroeck de limiter le nombre de ruches par rucher. Ces propositions sont pleinement intégrées dans le nouveau règlement sur les permis d'environnement qui est entré en vigueur le 1er septembre 2019.

Pour les apiculteurs bruxellois, l'apiculture est un hobby  qui leur permet principalement de se reconnecter à la nature. La plupart d'entre eux ont 1 à 3 ruches, travaillent avec des abeilles locales et fécondées naturellement. Ils ne recherchent pas la productivité, mais pratiquent l'apiculture dans le respect des abeilles et des équilibres écologiques. Le courant dans lequel s’inscrit l’apiculture bruxelloise de nos jours est inédit. Il repose sur un désir grandissant de consommer autrement (un attrait croissant pour la production locale, l’autosuffisance alimentaire, une certaine distanciation vis-à-vis des pratiques de la grande distribution) et l’éco-citoyenneté (développement d’une conscience écologique, un intérêt pour le développement durable). L’apiculture urbaine moderne est, plus que jamais, un engagement social et environnemental.

Nous défendons l'idée que l'abeille mellifère a totalement sa place aux côtés des Hommes qu’elle accompagne depuis des millénaires. Si son statut d’espèce bio-indicatrice n’est pas usurpé, elle est désormais un formidable moyen de sensibilisation aux beautés de la nature et aux périls qu’elle encourt. Elle permet aux citoyens de découvrir le monde des abeilles, leurs interactions avec les plantes et l’importance de préserver leur habitat.
Les apiculteurs bruxellois se considèrent comme des ambassadeurs à la fois des abeilles mellifères et des abeilles sauvages. Compte tenu du déclin rapide de la nature à Bruxelles, la sensibilisation du grand public est d'une importance croissante.

Mais les abeilles sauvages ne sont pas les seules à souffrir. La mortalité moyenne des abeilles à Bruxelles entre 2017 et 2019 était de 40,8%. L'abeille mellifère doit également être protégée.

L’engouement pour l’abeille est, depuis plusieurs années, récupéré par des entreprises privées, qui, sous couvert de favoriser la biodiversité et la prise de conscience écologique, monnayent l’installation de ruchers sur des toits d’entreprises. Un marketing de l’abeille, parfois dissimulé sous un discours de veille environnementale ou d’opportunité d’études polliniques, se rencontre malheureusement aussi dans la capitale. Une analyse attentive de ces projets montre que ceux-ci se limitent, très majoritairement, à un «parrainage» de ruches au prix fort.
Contrairement au message communiqué par ces entreprises, installer des ruches n’est pas un moyen d’augmenter la biodiversité. Aussi, nous conseillons aux particuliers soucieux d’avoir un impact positif sur la biodiversité, d’adopter des pratiques naturelles dans leurs jardins : semis de plantes mellifères, bannissement des produits chimiques, respect de l’habitat des abeilles solitaires –majoritairement terricoles–, plutôt que d’envisager l’installation d’une ruche.

COMPÉTITION ENTRE ABEILLES MELLIFÈRES ET POLLINISATEURS SAUVAGES

Une littérature académique émerge sur les risques posés par un éventuel phénomène de compétition entre abeilles mellifères et pollinisateurs sauvages pour l’accès aux ressources dans certaines zones sensibles.
L’état actuel des connaissances scientifiques se concentre sur les phénomènes de compétition dans des zones naturelles aux configurations environnementales spécifiques (plaines calcaires, parcs naturels arides) au sein desquelles de grandes densités de ruches sont installées. Soit des résultats difficilement extrapolables à Bruxelles, qui bénéficie de 8000 hectares d’espaces verts, de jardins riches en fleurs et de multiples plantations d’arbres mellifères le long de ses voiries. Même en considérant les densités conseillées par les scientifiques dans des zones pauvres en ressources mellifères (3,5 ruches/km2), la densité moyenne de ruches à Bruxelles (2,67 ruches/km2) se situe sous leurs recommandations et sous la moyenne belge (3,6 colonies/km2).
En outre, nous observons depuis 2017, qu'un tiers de nos membres n'ont pas ou plus de colonies, en partie à cause des mortalités hivernales importantes.

Les abeilles mellifères et les abeilles sauvages ont également des stratégies de butinage différentes. Les analyses de miel montrent que nos abeilles récoltent principalement du nectar d'arbres tels que les tilleuls et les châtaigniers. Ces arbres produisent des quantités importantes de nectar même lors de sécheresses car leur système racinaire leur permet de puiser de l'eau profondément dans le sol. Les abeilles sauvages butinent quand à elles une plus grande variété de plantes qui ne sont pas nécessairement présentes en grande quantité.

Une mesure simple de la disponibilité en ressources est la récolte de miel. Une colonie d’abeilles mellifères placée dans un environnement floral pauvre, tel que ceux des études mentionnées précédemment, ferait une récolte faible à moyenne. Or, les récoltes de miel des apiculteurs de la région bruxelloise sont systématiquement plus volumineuses que celles de nos confrères des autres régions. Cela indique que l'offre en nectar est abondante.

Aussi, Bruxelles m’abeilles appelle tous les intervenants au bon sens  : interdire l’abeille mellifère pour sauver les abeilles sauvages est une réponse simpliste et qui ne fait l’objet d’aucun consensus scientifique, à un problème beaucoup plus global qui touche tout autant les moineaux que les pollinisateurs de la capitale.
Ce débat sur la concurrence entre les abeilles est un faux débat. Le non-usage de pesticides et des engrais chimiques, la diversité florale et la disponibilité de sites de nidification sont les principales clés pour aider véritablement les pollinisateurs.

PROPOSITIONS
–    Mettre en place un groupe de réflexion sur la politique “abeilles” en région bruxelloise avec l’administration, des experts de divers horizons (Honeybee Valley de l'Ugent ou SAPOLL de l'Université de Mons…), incluant des experts apicoles – tels que le CARI asbl et Bruxelles m’abeilles, représentant légitime des apiculteurs urbains – afin que les décisions soient prises avec ouverture et transparence.
–    Encourager les plans ambitieux de végétalisation des villes, avec des plantes indigènes riches en pollen, nectar et fruits, gérés adéquatement (taille douce). L’augmentation d’une ressource alimentaire variée bénéficie à tous les pollinisateurs ainsi qu’aux oiseaux et contribue à renforcer l’adaptation des villes aux changements climatiques.
    Un plan arbre ambitieux et cohérent ainsi que l’implantation de prairies fleuries au sein des parcs bruxellois devrait être renforcé. Mais aussi, comme le montre l'exemple de Gand, nous devons restaurer l'image desdites « mauvaises herbes » et donner une place dans la ville à la nature spontanée et sauvage.
    L’avenir des abeilles mellifères comme sauvages est bien davantage dans le retour à une meilleure mixité des milieux.

    Des recherches récentes de l'Université d'Amsterdam montrent que la Région bruxelloise a perdu plus de 14% de ses espaces verts en 13 ans. Cette perte de zones souvent petites et sauvages est particulièrement dévastatrice pour les abeilles sauvages qui ont perdu des sites de nidification et de nourrissement et ont besoin de ce maillage vert pour assurer les échanges de matériel génétique.
–    Mettre un terme au bétonnage de la ville, désasphalter et rendre à la nature les espaces bétonnés inutilisés.
–    Identifier, restaurer et aménager des terrains propices à la nidification et la reproduction des pollinisateurs sauvages.
–    Réduire les pollutions atmosphériques, sonores et lumineuses au bénéfice de la santé des insectes, des oiseaux et des citoyens.
–    Soutenir les projets de sciences participatives pour l’étude des pollinisateurs tels que Wildbnb.
–   Limiter l’installation de ruches parrainées.
–   Renforcer le rôle pédagogique et de sensibilisation des ruchers.

Enfin, nous souhaitons recevoir un engagement politique à propos de la pérennité des implantations éducatives qui sont au cœur de nos activités et des implantations de nos membres  concernés.

La stigmatisation de l’abeille mellifère et de l’apiculteur est peu représentative de la réalité et de la complexité du problème. Nous souhaitons que naturalistes et apiculteurs travaillent ensemble vers  un objectif commun pour proposer des mesures cohérentes, sur le temps long, solidaires et à terme payantes pour toutes les abeilles !

Le Conseil d’administration de Bruxelles m’abeilles


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