Qui peut dire non à notre reine Christine ?  Certainement pas moi.
Et me voilà, en tant que médecin avec une solide formation universitaire de 2 ans en nutrition avant d’étudier la médecine à 38 ans, à devoir vous parler du miel et du sucre.  Je préfère dire le miel ou le sucre.  


Devoir se poser la question des bienfaits/méfaits du sucre et du miel me parait étrange.  Comparer ce qui n’est pas comparable.  Comparer l’incomparable, comparer l’ange au démon.  Le plus visible est la différence de couleur, le blanc du sucre raffiné et la diversité de couleurs des miels et des miellats.  On parle de diversité, de biodiversité, d’extinction massive d’espèces animales sur terre.  On s’étonne, on s’alarme.  Les campagnes ont perdu une quantité importante d’insectes, d’oiseaux.  Vous vous promenez dans le Condroz, en Hesbaye, en Champagne, en Beauce.  Vous y voyez l’impact de l’homme.  D’immenses zones de monoculture, disparition des haies, épandages de produits phytosanitaires ou graines enrobées.  Vous vous sauvez, désolés devant cette désolation.  Vous roulez en voiture en été, vos pare-brises sont presque propres.  Souvenez-vous d’il y a 30 ou 40 ans.  Les plus anciens se souviendront de la chasse aux papillons. Offrez un filet à papillon à vos enfants ou petits-enfants, ils vous regarderont perplexes.  Nous détruisons la biodiversité, nous avons peur de la diversité.  Et pour Bruxelles, certains pensent que la raréfaction de nos abeilles solitaires est liée à la présence de l’abeille domestique.  
Oh les amis, quelle pitié !!!
Notre alimentation raffinée, riche en graisses (mauvaises graisses), riche en sucre (raffiné), faite de plats préparés, pauvres en fruits et légumes de couleurs si différentes est à la base, au moins en partie de nos pathologies de civilisation comme le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires,  les maladies neurodégénératives et les cancers.  
Le sucre est partout, les couleurs ont disparu.  Avec les couleurs, ce sont des composés phénoliques et poly-phénoliques que nous avons perdus.  Ces composés se retrouvent dans le monde végétal.  Ingérés, ils vont au cœur de nos cellules y réguler le fonctionnement de nos gènes. On parle d’épigénétique.  Vous êtes familiers avec ce terme. C’est ce phénomène qui permet d’orienter le devenir d’un œuf.  Vous aurez soit une ouvrière soit une reine. Juste une question d’alimentation, 3 jours de gelée royale et le reste de pain d’abeille pour l’ouvrière et uniquement de la gelée royale pour faire une reine.  

Le miel, le miellat, non les miels et les miellats devrait-on dire sont riches en composés phénoliques et poly-phénoliques responsables de leurs couleurs, de leurs saveurs et de leurs propriétés (Cianciosi D, Forbes-Hernández TY, Afrin S, Gasparrini M, Reboredo-Rodriguez P, Manna PP, Zhang J, Bravo Lamas L, Martínez Flórez S, Agudo Toyos P, Quiles JL, Giampieri F, Battino M.  Phenolic Compounds in Honey and Their Associated Health Benefits: A Review. Molecules. 2018 Sep 11;23(9))

Mais à quoi servent-ils ?  

Chez l’Homme, ingérés avec les légumes et les fruits de couleurs différentes, ils influenceront en premier les bactéries de notre microbiote intestinal dont on connait aujourd’hui l’impact majeur sur notre santé et sur notre système immunitaire.  Une fois passé dans le sang, ils vont pianoter sur nos gènes au cœur de nos cellules via deux grandes voies au moins, la voie du NF-Kappa B et celle du Nrf-2 freinant la cascade des voies de l’inflammation, augmentant celles de l’anti-oxydation et de la détoxication.  

Et chez l’abeille me direz-vous ?  

Eh bien, ces composés phénoliques et poly-phénoliques auront des impacts similaires.  Des impacts similaires ? Non ???
Si, si, ils influenceront la composition du microbiote de vos abeilles.  On sait aujourd’hui qu’un microbiote intestinal équilibré chez l’abeille affecte son état nutritionnel, son poids, son équilibre hormonal, son système immunitaire, sa résistance aux pathogènes alors qu’une perturbation du microbiote (dysbiose) l’affaiblit.  Comme chez l’humain, le microbiote est localisé dans la partie terminale de l’intestin.  Il y contribue à la digestion, à la fermentation des composants de la paroi cellulaire des végétaux présents dans le pollen et à la fermentation des composés phénoliques et poly-phénoliques présents dans le miel.  Les bactéries du microbiote intestinal peuvent s’échanger entre individus au travers des contacts sociaux et de la trophallaxie.   Elles ont également des effets sur le comportement et la résistance aux pathogènes (Hoa Zheng, Margaret I. Steele, Sean P. Leonard, Erik V.S. Motta and Nancy A Moran.  Honey bees as models for gut microbiota research.  Lab Animal, Vol 47, Novembre 2018, 317-325. www.nature.com/laban).

 

Impressionnant, non ?  

Une publication récente décrit l’impact du glycophate sur le microbiote intestinal de l’abeille associé à l’accroissement de la susceptibilité aux infections par des pathogènes opportunistes (Erick V. S. Motta, Kasie Raymann and Nancy A. Moran.  Glycophosate perturbs the gut microbiota of honey bees.  PNAS, October 9, 2019, vol 115, n°41, 10305-10310).  Diable !!!

Imaginez alors nos colonies nourries pour l’hiver avec des « aliments complets » pour abeilles (glucose-fructose) sans composés phénoliques et poly-phénoliques favorisant une dysbiose, un système immunitaire affaibli et un comportement perturbé.  Exposées à des facteurs d’environnement (glyphosate et autres phytosanitaires) accentuant le déséquilibre de ce magnifique écosystème intestinal, nos chéries doivent en plus faire face aux varroas et leurs virus.  
Et nous nous posons des questions sur la mortalité de nos colonies en hiver.  À votre bon jugement.  

Apiculturellement vôtre.  
Jean-Miel